• Ce Que j'ai vu et pourquoi j'ai menti, de Judy Blundell

    Présentation

     

    Ce Que j'ai vu et pourquoi j'ai menti est un petit roman noir glamour écrit par l'auteure des livres Star Wars, Judy Blundell.

     

    Ce Que j'ai vu et pourquoi j'ai menti, de Judy Blundell

     

    Quatrième de couverture :

     

    Floride, 1947. Un ancien soldat au passé trouble, une femme trop belle, un homme aussi séduisant qu'énigmatique... quel fil invisible les relie ? Dans un hôtel au luxe défraîchi et la chaleur étouffante de septembre, Evie surprend l'ombre de mensonges et de terribles secrets. Un roman sombre et haletant, qui décrit le brûlant passage à l'âge adulte.

      

     

    Mon avis :

     

    Comme toujours, entendre la voix de ta mère qui te crie en bas des marches : "J'ai une surprise !" et descendre quatre à quatre pour découvrir la géniale enveloppe de Gallimard Jeunesse, ça t'a fait littéralement sauter de joie. C'est toujours le même plaisir que de recevoir un livre à chroniquer, ne serait-ce que parce que cela te rappelle la confiance et le temps que témoigne Gallimard à quelques heureux élus... Quel bonheur ! Bon, forcément, ça t'a fait bizarre de découvrir un paquet aussi léger, bien plus petit que celui de Terrienne. Tiens, un livre dont la couverture n'est pas blanche, cela faisait longtemps. Tu connais cette couverture, tu l'as vue en photo sur le site de Gallimard. C'est vrai que le livre de Judy Blundell ne t'avait pas particulièrement attirée, tu ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce que tu as toujours eu du mal avec les couvertures qui ne sont pas des dessins mais des photographies de personnes réelles. Tu as lu le résumé, curieuse, mais là non-plus, il ne révélait pas grand-chose et n'était pas particulièrement attrayant. Mais tout de même, le livre sentait bon - oui, c'est important, un livre qui sent bon. Tu aimes beaucoup, quand tu découvres un écrit, faire défiler ses pages à toute allure en sentant leur caresse sous ton pouce, et glisser tes narines tout près, humer le doux fumet qui s'en dégage... Etrangement, chaque livre semble avoir son odeur. Certains sentent le bon papier, la bonne encre, et c'est généralement bon signe, alors que d'autres semblent plus fades ou carrément ont mauvaise odeur. C'est un peu comme comparer deux sachets de foin : c'est la même plante et pourtant, l'un porte en lui le parfum des alpages, avec tout ce qui va avec : rayon de soleil d'été, couleurs chatoyantes des fleurs sauvages, bruit étouffé du lourd sabot des vaches qui se pose dans les champs... ; et puis l'autre qui ne sent rien, ou pire, le rance, le sec. Il y a dans l'un l'odeur de la vie et du monde, et dans l'autre un vide, un rien qui vous désarçonne...

    Ce Que j'ai vu et pourquoi j'ai menti, lui, sentait bon. Et même, très bon. Tu as senti une sorte d'odeur coulante, épaisse, qui glissait comme un courant d'air sur tes papilles et ton palais pour aller s'épaissir au fond de ta gorge, comme si tu avalais l'ombre du miel ou du beurre, le sirop d'un parfum. C'est le papier, c'est l'encre, c'est le début d'une intrigue... Alors tu as ouvert le précieux petit ouvrage et tu as commencé ta lecture.

     

    « L'allumette a craqué et s'est embrasée. Je me suis réveillée. J'ai entendu maman inspirer en prenant une longue taffe de sa cigarette. Ses lèvres collaient au filtre, elle avait donc encore du rouge à lèvres. Elle avait passé une nuit blanche. »

     

    Premiers mots, premières phrases dont on s'aperçoit qu'ils appartiennent à une scène volée dans le futur d'une histoire qui débute en fait quelques semaines plus tôt, à la fin des grandes vacances. Evie est une jeune fille de quinze ans dont le père a quitté sa beauté fatale de mère avant sa naissance. L'adolescente ne te laisse pas indifférente, elle ne mesure pas sa beauté timide que sa mère participe grandement à dissimuler en ne remarquant pas qu'Evie grandit et en lui faisant malencontreusement de l'ombre, tant la jeune femme, Beverly, brille comme un soleil. Mère à 17 ans, elle est encore très jeune et rayonne, dans chacun de ses gestes ; à côté, Evie se sent transparente et n'arrive pas à s'affirmer. Tu te sens proche de cette enfant qui ne parvient pas à grandir, effacée, quelque peu solitaire et dont la personnalité reste difficile à cerner. Elle est attachante mais... comment se sentir complice avec une enfant qui est si distante qu'elle obéit toujours à ce que lui demande cette mère angélique qu'elle aime tant, allant jusqu'à négliger ses propres désirs ? Voilà le problème d'Evie : on a du mal à réellement l'apprécier. On l'aime bien, on la comprend, mais il est difficile de s'attacher plus à elle, il n'y a pas cette petite étincelle qu'il peut parfois y avoir avec d'autres personnages, dans d'autres livres. La manière d'Evie de raconter l'histoire, sa manière de réagir et de souvent s'abstenir de juger clairement les choses, sa faiblesse, finissent par te désarçonner, comme si elle parvenait, au-delà des pages, à être transparente même pour toi. Et comme on voit toute l'histoire à travers ses yeux, c'est toute l'histoire qui semble transparente, un peu hermétique ; elle se lit bien, cette histoire, mais on ne la déteste ni ne l'adore, c'est un peu... neutre. L'intrigue est pourtant intéressante, avec cette histoire d'amour qui débute, cette ambiance de vacances sous les cocotiers dans un hôtel au luxe un peu défraîchi, juste après le guerre 39-45. C'est vrai que le thème des vacances luxueuses dans un pays chaud, ici la Floride, est assez exploité dans d'autres livres et contribue à ajouter une touche impersonnelle dans le roman, mais malgré cela, l'ombre du mystère, l'arrivée de Peter, beau jeune homme aux allures de prince charmant, la découverte de terribles secrets, et puis une aventure qui devient de plus en plus horrible de telle sorte qu'elle détruit petit-à-petit l'enfant qu'est Evie, tout cela aurait pu être croustillant et très intéressant. C'est un roman d'apprentissage, un vrai, dans lequel l'adolescente finit par être forcée de devenir bien plus adulte que... les adultes. Tout cela, en un mois et-demi. Et dans une ambiance d'après-guerre qui pourrait plaire. Seulement voilà, il y a la barrière de la narration trop impersonnelle et de ces personnages auxquels on n'arrive pas à s'attacher réellement. On plonge dans l'enfer d'une famille qui semblait pourtant si parfaite avec une certaine distance, car on n'arrive pas à entrer, à plonger tête la première au coeur de l'histoire ; tu as eu l'impression de vouloir y entrer, mais de te heurter à un mur qui te permettait seulement de suivre l'intrigue à distance raisonnable, de telle manière que tu ne ressentes pas toi-même les sensations des personnages. Voilà, c'est ça, tu n'as pas pu te mettre à leur place. Il manquait cela. Tu as bien aimé les découvertes que tu as faites, bien aimé les révélations et les mystères qui planent jusqu'au bout pour te permettre de te faire ta propre idée de la réalité. Mais tu n'as pas eu l'impression, comme avec d'autres livres, d'oublier qui tu étais, où tu étais, pour fusionner avec l'oeuvre. Tu pouvais sortir du livre très facilement, il suffisait qu'une mouche vienne se poser sur ta main pour que tu te déconcentres et que tu doives reprendre ta lecture quelques lignes plus haut, pour mieux comprendre.

    A cela, tu ajoutes aussi une petite remarque à propos des prolepses, assez nombreuses au début du roman, du style : « Je ne savais pas encore que nous étions poursuivis » ou « C'est à partir de ce moment-là que tout basculerait ». Bien des fois, ces prolepses t'ont mis l'eau à la bouche, tu t'es dit : « chouette, voilà que les choses accélèrent, le suspens est au rendez-vous », et pourtant, l'événement annoncé t'apparaissait bien peu important par-rapport à ce que ces petites phrases semblaient en dire. Sur le moment, on est déçu ou simplement dans l'incompréhension : on ne comprend pas où l'auteure veut en venir.

     

    En fait, Ce que j'ai vu et pourquoi j'ai menti a ce défaut-là qu'il semble n'être écrit que pour la révélation de la fin : si on ne la lit pas, on pense qu'on a lu un petit livre sympathique qui n'avait aucun but à démontrer, écrit un peu « gratuitement » en quelque sorte, même si l'expression peut paraître dure. Le problème, c'est qu'on ne peut pas en vouloir à l'auteure : elle a choisi une narratrice dont le caractère se devait d'être ainsi, pour qu'on la voit évoluer au cours du roman, que l'on remarque bien la différence entre le début et la fin, que le lecteur vive l'intrigue avec la même naïveté et soit surpris, choqué, par les révélations de la fin, tout comme Evie. C'est pour cela que tu ne peux pas dire que tu n'as pas aimé cette oeuvre : elle est intéressante par ce qu'elle démontre mais le risque, c'est qu'on s'en désintéresse avant la fin, bien qu'il ne soit pas spécialement ennuyeux, mais pas non plus entraînant. Neutre, encore une fois.

     

    Ton impression finale, c'est celle d'un bon roman d'apprentissage, qui se lit bien mais qui par son essence même, ne conduira peut-être pas le lecteur à un véritable coup de coeur.